02/08/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Un intermédiaire

01/01/1990
M. Jacques Pimpaneau.

C'est par une belle après-midi ensoleillée et encore chaude du mois de novembre à Taïpei que nous avons ren­contré en toute simplicité M. Jacques Pimpaneau. C'était pour moi une entre­vue  ô combien brève, mais toute chaleu­reuse et toujours aussi enrichissante de connaissances. En effet, après ces lon­gues vingt années passées en Extrême­ Orient, je le retrouvais en face de moi, si loin du temps passé devant sa chaire à Langues'O. L'émotion intense de le revoir après tant de temps fut si forte que j'en oubliais même de me (re)pré­senter et restais soi devant lui, tout en savourant un immense plaisir de l'écou­ter à nouveau. En revivant son franc parler, sa jovialité sous le déluge de ques­tions de collègues, il n'avait point changé.

Plein de bonne humeur, il rappela les débuts de son professorat et de sa car­rière à l'Ecole nationale des Langues orientales vivantes, dite Langues'O, puis, après sa dissolution en 1969, dans les avatars de cette institution, aujour­d'hui l'Institut national des langues et ci­vilisations orientales (Inalco).

Diplômé de cette grande école et de littérature française, M. Pimpaneau passa deux ans à l'Université de Pékin de 1958 à 1960 au temps des communes populaires, du Grand Bond en avant et de la rupture Pékin-Moscou avec Khrouchtchev. Rentré en Europe, il poursuivait encore ses études à Oxford quand on lui proposa une chaire à Lan­ gues'O en 1965. De 1968 à 1971, il fut détaché à l'Université chinoise de Hong­kong pour enseigner le français. Au­ jourd'hui, il dispense à l’Iinaico des cours de littérature chinoise, de chinois clas­sique et dirige des séminaires, maîtrises et thèses sur le théâtre asiatique. Et dès l'année prochaine, il enseignera un cours de psychologie chinoise sous la tu­telle mixte de l'Inalco et de l'Université Paris- VII.

C'est lors de son séjour dans la colonie britannique qu'il s'est intéressé au théâtre chinois. Le hasard a voulu qu'il rencontrât M. Kwok On, personnage vé­nérable tout imprégné de folklore chinois et montreur de marionnettes. Auprès de lui, il apprit à jouer les pièces les plus traditionnelles, le plus souvent d'un répertoire plus vaste que celui de l'opéra ou du théâtre chinois. Modeste­ment, il affecte de n'avoir pénétré que les rudiments de cet art. Pourtant, son maître, probablement âgé, vint un jour lui céder tout son trésor d'objets folklo­riques. Convaincu de le prendre, il s'en fut le conserver en France dans un musée. L'idée n'était pas saugrenue, car ces merveilles pouvaient alors être admi­rées et, surtout, servir à la compréhen­sion d'autres cultures, le vœu chéri d'un enseignant. Avec l'aide de M. Henri Langlois, fondateur du Musée du cinéma à Paris, il créa à son tour le Musée Kwok On. Refusant toute déno­mination pompeuse, il préféra tout sim­plement le nom de son premier dona­teur. En fait, cette astuce allait vite permettre de repousser les frontières géographiques et culturelles de ce musée.

Le premier don chinois fut rapide­ment augmenté grâce à l'apport d'objets d'arts et folkloriques venus de toute l'Asie (Turquie, Iran, Inde, Asie du Sud­ Est, Chine, Corée et Japon) qu'il ras­semblera au cours de ses nombreuses pérégrinations en Asie. Et d'avoir égale­ment pu recueillir plusieurs objets avec le concours de ses étudiants ou amis, comme des collections complètes du théâtre indien sur le Râmâyana ou le Ma­hâbhârata, offertes par la sœur d'une étu­diante en poste en Inde. Une autre étudiante installée à Bangkok lui expédia deux jeux complets du nang taloung, le théâtre d'ombres thaïlandais.

Aujourd'hui, le Musée Kwok On possède une riche collection sur l'art po­pulaire des grands courants civilisateurs de l'Asie. On pourra y admirer le karagaz, théâtre d'ombres turc, le taaziyeh iranien, seul théâtre traditionnel du Moyen-Orient puisqu'il était banni par les autorités sunnites, diverses formes dramatiques de l'Inde avec le râmlîlâ (théâtre populaire) ou d'Indonésie avec le wayang kulit (théâtre d'ombres) et bien d'autres aux noms si exotiques. Pour mieux pénétrer tous ces arts si dif­férents, le musée tient une petite vidéo­thèque à la disposition du public.

Malgré l'extension des limites géo­graphiques des expositions sur l'art po­pulaire asiatique, c'est quand-même autour de et son art folklorique, sous toutes ses formes, que gravitent les recherches de M. Pimpaneau, à la fois partagé par la conservation et l'enrichis­sement de son musée et par sa carrière professionnelle.

Plusieurs expositions thématiques du musée ont ainsi tenu l'affiche: les dif­férents genres théâtraux de l'Asie, les fêtes traditionnelles en Chine et au Japon, les fêtes et le théâtre de l'Inde, divers thèmes de la littérature chinoise, les théâtres d'ombre asiatiques. L'ac­tuelle exposition est le lien entre la reli­gion et le théâtre en Chine. Annonçant déjà la prochaine, la religion populaire chinoise, M. Pimpaneau a pleinement mis à profit son long séjour à Taïwan pour la préparer, et expliquant que la sta­tuaire, les instruments de musique, le folklore artistique qui s'y rapportent ont été activement réunis. Toutefois, il in­siste que son intérêt se porte beaucoup plus sur la multiplicité d'un sujet que sur son unicité ou son esthétique qui sont parfois obscures. En effet, les pièces col­lectionnées doivent offrir un tout présen­ table, même s'il n'est que partiel d'une culture. Ainsi, il refusa à Taïwan une ma­gnifique statue de Matsou, la protectrice des marins, qui ne peut à elle seule, malgré sa toute beauté, exprimer, voire symboliser, la religion chinoise. Malheu­reusement, ces expositions n'ont pas toujours retenu l'approbation de tous ses confrères; les uns y interprétent un dé­ tournement de l'esprit vers le médiocre; le autres nient carrément tout caractère culturel à ces « futilités» de bazar.

Mais qu'importe. Il s'est également servi de ce musée à des fins pédago­giques. Refuant d'être, ce qu'il appelle, un « édu-castreur », il a toujours invité ses étudiants à jouer et à monter une pièce de théâtre. L'objectif est justement de goûter une partie vivante du patri­moine culturel chinois avant d'entre­ prendre des études livresques et théo­rique plus profondes. M. Jean-Luc Penso est certainement l'élève le plus assidu dans cette discipline, car il a monté quelques temps plus tard le Théâtre du Petit Miroir à Paris où il pré­sente des spectacles de marionnettes à gaine. Sur les conseils de son professeur, M. Pimpaneau, il avait étudié à Taïwan auprès d'un maître-montreur, M. Li Tien-lu. (C): libre, nov.-déc. 1987, pp. 18 sqq.)

Cette fois-ci, invité par le Centre de recherches sinologiques de Bibliothèque centrale nationale à Taïpei, M. Pimpa­neau vient d'effectuer son plus long séjour à Taïwan. Il y vint pour la pre­mière fois il y a 20 ans et fit diverses études lors de séjours brefs et répétés. S'il n'est pas revenu depuis sept ans à Taïwan, il n'est pas resté sans contact avec ou le monde chinois. Bien au contraire. Il y a effectué de nombreux voyages d'études à un rythme accéléré sans omettre les autres points culturels de l'Asie, tenant toutefois à signaler qu'il n'a fait aucun séjour en Chine conti­ nentale pendant la révolution culturelle. Et dernièrement, il a également décliné une invitation à Pékin en vue de la prépa­ ration du Festival d'art populaire d'Avignon.

Il refuse fermement d'être « catalo­gué» parmi les sinologues. Agrémentant cette prise de position, il nous conte cette charmante histoire. Un jour, lors d'une réception, on lui présenta une jeune femme, mannequin de haute cou­ture, à qui on avait soufflé que M. Pimpa­neau était un sinologue. «Oh, comme je suis ravie de vous rencontrer! Vous allez enfin pouvoir m'expliquer ce qu'est Dober­man », s'exclama-t-elle à M. Pimpaneau. Interloqué, il bredouilla: « Attendez, je ne vois pas très bien. Est-ce un auteur? Il y en a tant qui écrivent sur que je ne saisis pas. - Mais comment? reprit-elle. Vous êtes bien "sino"logue? - On le dit. Mais Doberman, je ne vois pas. Je suis désolé. - M. Pimpaneau! Arrêtez de vous moquer de moi. Vous ne savez pas que Do­berman est un chien! - Comment le saurais-je? - Mais un «cynologue »n 'est­ il pas un spécialiste des chiens. Enfin! »

C'est une monstruoité, nous dit-il tout amusé. Il n 'y a pas de science de ce nom. Ce terme n'existe pas. Et de récu­ser ce terme avant absurde, sinologie, science des Chinois. Connaît-on 1'« an­giologie », la « francologie », etc. insinue-t-il avec humour.

Dans notre monde, il existe des gens qui se placent à cheval entre deux cultures et, de par cette situation, peu­vent présenter la culture d'un pays à l'autre. C'est justement là que M. Pimpa­neau préfère se trouver, entre la culture française et la culture chinoise, à dessein de présenter l'une à l'autre, et récipro­quement. Mais il n'est pas un sinologue, spécialiste des Chinois ou de est également marionnettiste, directeur de musée ou enseignant, dit-il. Mais, n'est-ce pas une modestie peu méritée?

Dans ce cadre intermédiaire, il a écrit plusieurs ouvrages. Exécrant les titres pompeux ou grotesque, il s'est tou­jours efforcé d'énoncer un titre original pour un ouvrage traduit, en refusant de prendre les titres translittérés peu inspi­rateurs aux lecteurs français d'œuvres chinoises. Ainsi, Biographies des regrets éternels (1973), traduction sélective parmi les lié-tchouan [列傳], un genre lit­téraire chinois dans les annales dynas­tiques depuis les Han jusqu'aux Ts'ing. Les poèmes de Han-chan [寒山] (m. 815), moine bouddhiste, se présen­tent sous le nom, Le clodo du Dharma (1974). Certains ouvrages ont complété les expositions du Musée Kwok On, Les poupées à l'ombre (1975) nous fait monter sur les trétaux avec les mon­treurs de marionnettes; Chanteurs,collleurs, bateleurs (1976) pénètre la litté­rature orale chinoise et Promenades au jardin des poiriers (1977) furète dans les coulisses de l'opéra chinois. Royaumes en proie à la perdition est une traduction partielle de l'Histoire des Tcheou orien­taux. Il rassembla divers textes sur l'ha­billement, la musique et la religion dans Chine: Cultllre et traditions, publié tout dernièrement. Comme l'hirondelle, il nous a annoncé la prochaine sortie de l 'Histoire de la littérature chinoise qui n'en est pas une, insiste-t-il. En effet, l'ou­ vrage met en garde le lecteur contre la traduction littérale ou trop servile du chinois. Il y traite également la concep­tion, les idées de l'art littéraire chinois avant et après le Wen-sin-tiao-Iong [文心雕龍], de Lieou Hié [劉勰] (m. en 473 ap. J .-C.) , une œuvre de haute impor­tance dans la littérature chinoise. Plu­sieurs chapitres sont consacrés à la poésie, au roman, à la place de l'histoire dans le roman, l'amour et les autres sen­timents dans la littérature chinoise. C'est une histoire certes, mais pas la chronologie. Encore un titre aux nuances ambiguës dont raffole tant l'auteur!

Lors de son séjour à Taïwan, M. Pimpaneau s'est penché sur la reli­gion populaire chinoise et a pu en noter la vivante expression. Il s'étonna du culte vivace du dieu-chien, de l'introduc­tion du dieu hindou Brâhma dans les temples tàiwanais. Enfin, il releva le culte purement local d'un héros tàiwa­nais, comparable aux grands héros histo­riques de la nation chinoise contre les barbares. Ce dernier a longuement com­battu les Nippons pendant l'occupation japonaise de l'île. Son culte s'est rapide­ment popularisé. De plus, l'industrie ci­nématographique locale a souvent repris ce personnage héroïque, vénéré par les fidèles et peut-être aussi les spectateurs. Il en a rapporté nombre de pièces, d'ob­jets les plus hétéroclites les uns que les autres qui rassemblés formeront un tout homogène à la prochaine exposition qu'il nous a aimablement annoncée. Elle sera meublée d'un grand autel taoïque entièrement reconstitué, de vêtements et d'objets cultuels divers, de décora­tions et d'ornements rituels d'autels ou de vestibules de temple dédiés aux divi­nités populaires.

Poursuivant la voie qu'il s'est tracée, M. Jacques Pimpaneau n'est-il pas justement le merveilleux intermé­diaire qui sait faire revivre dans une at­ mosphère vraie, même aux antipodes géographiques ou culturelles, le fond de ce qui constitue réellement une culture, une civilisation. ■

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